Si vous scrollez régulièrement vos fils Twitter et Instagram, vous avez peut-être constaté ces dernières années un regain d’intérêt pour la star de Une nounou d’enfer, Fran Descher et pour son personnage Fran Fine. Cette passion serait-elle liée à la série, qui raconte l’histoire d’une ancienne représentante en cosmétiques qui débarque dans la maison très guindée du producteur de Broadway Maxwell Sheffield pour garder ses trois enfants ? Pas vraiment. Si cette série, diffusée entre 1993 et 1999, continue de faire parler d’elle, c’est plutôt pour les looks de Fran qui sont devenus cultes sur Internet. Des mini-jupes aux imprimés pied-de-poule en passant par les robes en vinyle, les manteaux de fourrure et les robes à gros pois, les tenues hautes en couleur de Fran fascinent et enthousiasment. Du compte Instagram What Fran Wore, sur lequel l’américaine Shanae Brown compile depuis 2016 les plus belles tenues de l’héroïne et essaie de trouver leur provenance, à The Nanny Art qui dresse des parallèles entre la silhouette de Drescher et de célèbres œuvres d’art, Une nounou d’enfer s’offre une deuxième vie.


La « Fran Formula »

Ce look iconique est né d’une collaboration étroite entre Fran Drescher, co-créatrice et actrice principale de la série et la styliste Brenda Cooper. Les deux femmes se rencontrent en 1991 sur le plateau de Princesses. L’actrice promet à celle qui est alors assistante styliste que si un jour elle a sa propre série, elle l’embauchera immédiatement. Après avoir vendu Une nounou d’enfer à la chaîne CBS, Drescher tient sa promesse. Cooper participe à l’élaboration du look de l’héroïne, Fran Fine, une jeune femme du Queens (New York) qui se retrouve dans un monde bourgeois dont elle ignore complètement les codes. Le rythme est effréné : la styliste doit imaginer une cinquantaine de tenues par semaine. Elle invente alors ce qu’elle appelle la « Fran Fine formula ». Dans une interview à Lenny Letter, elle décortiquait en 2017 sa façon de construire ces looks. « Je commençais toujours par une silhouette toute en noir : un col roulé noir, une mini-jupe noire, des collants opaques noirs et des talons aiguilles noirs. Ensuite, j’ajoutais des couleurs. J’ajustais toutes les tenues pour qu’elles s’adaptent parfaitement à son personnage. On raccourcirait les jupes pour qu’elles soient plus impertinentes, on rendait les hauts plus moulants, on changeait les boutons… » Elle réfléchit à chaque volume, à chaque détail, pour que les pièces semblent taillées pour Fran tout en mélangeant des trouvailles de friperie avec des vêtements de créateurs·trices (Moschino, Todd Oldham, Dolce & Gabbana, Nicole Miller…). Brown raconte avoir trouvé des tenues aussi bien dans les poubelles d’une autre série que sur les podiums.

 

« La costumière était très forte parce qu’elle partait d’un uniforme que plein de filles portaient dans les années 90, note Agnès Léglise, journaliste qui nous avoue que son fils s’amusait à l’époque de la diffusion de retrouver certaines des robes de sa mère dans Une nounou d’enfer. Mini-jupe, collants noir, cols roulés, pull noir, toutes les femmes portaient cet « uniforme ». Là-dessus, elle ajoutait des pièces incroyables. Sauf qu’à l’inverse d’une série comme Emily In Paris, où l’on voit bien que chaque tenue est très chère et invraisemblable, il y avait assez d’excentricité pour que ça ne fasse pas trop princesse héritière ! » Déjà très apprécié à l’époque, le look de Fran a traversé les décennies. Brenda Cooper, elle, est ravie que les vêtements continuent d’inspirer les millenials. « Cela tient beaucoup au fait que le personnage soit devenu culte, explique-t-elle à HelloGiggles. Je n’ai pas créé ce look pour qu’il soit à la mode. Ses tenues sont toujours portables aujourd’hui. Elles sont osées, colorées, elles disent quelque chose du personnage. Elles sont sexy. »

Elle n’a jamais honte, elle est fidèle à elle-même et ne se demande pas si elle doit s’adapter, ce que je trouve très cool

Un look hors du temps

Comment expliquer l’attrait d’une nouvelle génération pour Une nounou d’enfer ? Nawal Bonnefoy, journaliste et fan de vintage, qui tient un compte Instagram consacré à ses looks rétro, dresse un parallèle entre son attrait pour Fran et pour la chine. « J’aime son goût pour les couleurs pop, les motifs, les tailleurs cool et le maximalisme en générale, explique-t-elle. Ce sont des éléments que j’aime moi-même introduire dans ma garde-robe et vers lesquels je me tourne quand je chine. Souvent je tombe sur une pièce vintage et je me dis « Fran pourrait tellement porter ça ! » Mon amour pour son style fait écho à mon amour du vintage, d’autant que ce que Fran porte ne correspond pas forcément aux tendances actuelles, même si la série se déroule dans les années 90 et qu’on retrouve plusieurs codes propres aux nineties, le style de Fran flirte aussi avec le courant mod et les yé-yés des années 60 (ses ensembles Courrèges en vinyle), les 70s (ses sabots en patchwork par exemple), le power dressing des années 80… »

 

Les vêtements de designer de Fran déchaînent les passions sur les réseaux. Maylis nous explique rechercher activement la fameuse robe piano Moschino qu’elle a repérée sur un compte dédié aux looks de Une Nounou d’enfer alors qu’elle n’a elle-même jamais regardé la série. La conseillère en style et autrice de Dress like a parisian Aloïs Guinut nous explique que cette porosité entre style et mode ne date pas d’hier. Elle nous cite la fameuse coiffure de Rachel, si souvent demandée dans les salons de coiffure dans les années 90 et les looks preppy de Gossip Girl qui ont lancé une tendance dans les années 2000. « Ce qui est particulier avec les séries, explique-t-elle, c’est que les personnages ont le temps de développer leur propre style sur plusieurs saisons et peuvent de devenir des icônes de mode. Tout comme on se souvient du look de Jackie Kennedy, on se rappelle du look de Fran Fine ou Rachel Green. Et on a un catalogue de looks à disposition ! » Une manière d’en apprendre plus sur l’histoire de la mode à chaque épisode. « Une fashionista qui s’intéresse au revival nineties très couture et excentrique de Fran va pouvoir savoir quoi chercher en regardant ses tenues. Être dans une boutique vintage sans savoir ce que l’on cherche peut s’avérer assez compliqué. En étudiant le look de Fran on peut voir qu’elle portait tel look Moschino et s’orienter dans cette direction. Cela permet de naviguer dans le magma vintage et même retrouver des créateurs disparus que personne ne recherche ! » D’ailleurs, Fran n’est pas la seule héroïne dont le look fascine. « Parce qu’elle est accessible à tout le monde, la pop culture a une influence énorme sur notre manière de nous habiller explique Nawal Bonnefoy. Fran Fine est loin d’être la seule héroïne à inspirer les internautes. Buffy, Blair Waldorf (Gossip Girl), Rachel (Friends) ou Carrie Bradshaw (Sex and the City) ont toutes des styles plébiscités, analyses, reproduits, commentés, et ce des années après l’arrêt de ces séries. »

S’amuser avec ses vêtements

Lorsque nous demandons à ses fans ce qui plaît chez Fran, la réponse est un mélange d’admiration pour le personnage pour son audace. Beaucoup de femmes se souviennent d’avoir suivi ses aventures dans leur enfance, des étoiles dans les yeux. « Elle n’avait pas l’air d’avoir de soucis particuliers dans la vie, nous explique par exemple Fatoumata. Cette légèreté transparaissait. Ses jupes, ses robes, les couleurs qui attrapent l'œil et la coiffure toute en hauteur : tout criait "la vie est une fête !" et ça m'a fait comprendre qu'on pouvait s'amuser avec les vêtements ! » Pour Celia, Fran affirmait « beaucoup sa personnalité à travers ses fringues. J’ai toujours trouvé ça cool et intéressant, pas du tout superficiel ! » Depuis la diffusion, Brenda Cooper n’a quant à elle cessé de recevoir des lettres de femmes lui expliquant à quel point les vêtements de Fran avaient été d’une grande aide pour les aider à s’affirmer et à s’assumer.

Fran envoyait valser l’idée d’une féminité classique représentée par le personnage de C.C. « Elle incarne cette notion de fun, de savoir s’amuser et se faire plaisir et d’oser prendre de la place nous explique Margaux, grande fan de Fran. Je suis assez grande, j’ai des formes et parfois cela choque les gens que j’ai aussi l’audace d’avoir mon style, comme si je prenais déjà assez de place. Et c’est ce que j’aime dans le look de Fran, cet air de dire « oui, je prends de la place mais ça ne veut pas dire qu’il n’y en a pas pour les autres, je vis juste ma meilleure vie en m’habillant comme mes poupées. »

Transcender les classes sociales et le bon goût

Ses vêtements traduisent aussi un mépris pour une notion figée de « bon goût », comme nous le dit Tiphaine, une manière subversive d’être haute en couleur dans l’univers « beige » de Sheffield. Elle embarque avec elle son caractère de fille d’une famille juive du Queens et porte sa différence fièrement. « L’idée de bon goût dans le contexte de l’Upper East Side où elle travaille est très rigide, mais elle ne se remet jamais en question, souligne la journaliste Sarah Moroz. Elle n’a jamais honte, elle est fidèle à elle-même et ne se demande pas si elle doit s’adapter, ce que je trouve très cool. » La chanteuse November Ultra nous souligne aussi ce désir de faire de ses vêtements des « capes de superhéros ». Comme Fran. « Pour moi qui suis fille d’ouvriers, je me dis encore aujourd’hui que je n’ai pas la classe naturelle de certain·es de mes ami·es, alors je me dis que je suis Fran Fine et ça me convient ! Elle a ce côté « street smart », capable de composer des tenues incroyables avec n’importe quel vêtement. » Camelia dresse un parallèle avec sa propre mère, elle aussi issue de classe moyenne « voire précaire. » « Ma mère a toujours porté des tenues colorées, des grands talons, avec des cheveux parfaitement coiffés, et ça lui donne énormément de force et de charisme. Je trouve ça cool voire carrément féministe cette figure de femme qui, peu importe sa situation financière, reste elle-même, joyeuse, extravertie et digne ! »

Une icône féministe

Pour Angélique Haÿne, Fran restera pour toujours une icône féministe, « forte et indépendante ». Pour cette grande fan de la série, qui cherche à reproduire certaines des pièces emblématiques de la garde-robe de Fran en les cousant ou en les chinant, l’héroïne « utilise les codes de la mode consciemment ». Même si la série lui offre un destin assez conventionnel, un mariage et une grossesse, Fran est aux yeux d’Angélique « une femme qui utilise la mode comme moyen de combattre les hommes et les bourgeois » et qui l’a aidée à se « donner de l’assurance ».


Mais qu’est-il advenu de cette garde-robe qui fait rêver tant de femmes et qui a valu à Brenda Cooper de décrocher un Emmy ? Elle a fini chez Sony, qui a vendu cette mine d’or à une friperie. « Certaines personnes ont peut-être des vêtements dans leur garde-robe qui proviennent d’Une Nounou d’enfer sans le savoir… » explique Brenda Cooper à HelloGiggles. De ce côté de l’Atlantique, il ne nous reste plus qu’à écumer Internet pour essayer de ressembler à cette héroïne unique. Dont l’humour et la liberté ne cessent de faire des émules.

18 juin, 2021