Il y a un exercice que j’aime bien faire tout seule les jours où c’est chaud.

Les jours où je me laisse déborder par mes 3 boîtes mail, les jours où j’en peux plus de l’humanité et de la non débrouillardise des gens, les jours où mon fournisseur encaisse un chèque et qu’il n’aurait pas dû, les jours où il y a des dégâts des eaux au dessus des ordinateurs de la caisse, les jours où on nous tombe dessus sur les RS parce que nos sacs ne sont toujours pas en cuir vegan, ou qu’on est des suppôts de Satan pour ne pas avoir mieux anticipé le nombre de tailles sur un maillot de bain, les jours où tous mes rendez-vous s’annulent… 

Ces jours-là je fais cet exercice. Je m’arrête et comme Arya Stark je fais la liste des gens que j’ai envie d’éliminer. Non je déconne. Je m’arrête et je me demande pourquoi je fais ça déjà ? Je préfère ne pas vous mentir, des journées pourries ça arrive et depuis que je suis cheffe d’entreprise, je prends TOUT malheureusement très à coeur. 

Cette question toute simple est un bon moyen de garder le cap, je prends un peu de recul… Je le fais souvent et je me rends compte que mes réponses ont évolué avec le temps mais l’idée est toujours un peu la même. 

  • En 2015 : Je sais pas trop pourquoi je fais ça mais ça me semble être LA chose à faire, j’ai envie de proposer une mode différente et puis je fais ça parce que ça me rend heureuse.
  • En 2016 : Je fais ça parce que je vis ma meilleure vie, je porte les vêtements que je rêve de mettre et en plus je travaille avec des gens trop chouettes et ça me rend heureuse.
  •  En 2017 : Je fais ça parce que c’est trop cool d’imaginer des vêtements qui rendent heureux, j’apprends plein de trucs, je donne du travail à des gens et ensemble on écrit une histoire trop cool, inspirante pour d’autres et ça, ça me rend heureuse.
  • En 2018 : Je fais ça parce que je pense qu’on a une place dans le paysage de la mode et qu’à notre échelle on peut faire bouger les choses. Parce que notre histoire peut inspirer les gens, et que lorsque je vois des femmes accomplir des choses folles avec nos vêtements, ça me rend heureuse.
  • En 2019 : Rendez-vous à la fin de cette newsletter 

Quand je doute, j’aime me rappeler à cette constante qui est de faire des vêtements originaux, joyeux, qui vous fassent vous sentir belles, prêtes à tout conquérir, et surtout vous proposer des vêtements « abordables ». 

Je mets des maxi guillemets à abordable, parce que c’est un mot qui fâche abordable, pour moi le sens c’est : qui a un prix raisonnable. Oui ça ne veut pas dire grand chose non plus. Abordable pour qui ? un prix raisonnable comparé à quoi ? J’ai bien conscience que nos vêtements ne peuvent pas être portés par toutes les bourses. Alors je pourrais plutôt dire, que je veux que nos vêtements aient le prix le plus juste possible, et avec du sens. Des vêtements qu'on est fiers de porter. 

Je vous raconte ça parce que certains matins où je survole les informations, je me dis que c’est compliqué de continuer à faire de la mode, en sachant que cette industrie est la seconde la plus polluante au monde… Je me lève et si j’ai eu une journée pourrie la vielle (cf plus haut) je me dis ma pauvre Lisa tu n’es qu’une pourriture capitaliste qui veut vendre des choses à des gens qui ont déjà tout. 

 

 

Je viens de casser l’ambiance. 

Je suis sans filtre mais c’est un questionnement quotidien pour moi. Je ne pense pas à arrêter Make My Lemonade, mais je réfléchis à comment continuer à faire de la mode différemment tout en restant fidèle à mes idéaux de base, tout en étant fière des produits et en rendant les gens heureux, sans que personne ne se sente mal de consommer. Gros programme mais j’accepte le défi.

Je me suis rendu compte que lorsque je m’achetais un truc chez Zara, je me sentais honteuse, sensation ex æquo lorsque je vais chez McDo. J’y allais en cachette et puis j’ai quasi revendu la totalité de ces affaires sur internet… Parce que je me sentais trop naze lorsque l’on me demandait où j’avais acheté ma robe. Aucun plaisir. Tout le contraire pour moi de s’habiller le matin, cela doit rester léger et un moment de joie. 

Depuis le début de Make My Lemonade ce sont des questions que je me pose, mais dès que l’on met le doigt dans ces problématiques environnementales, c’est comme mettre une goutte d’encre dans un verre d’eau. Quand on s’interroge sur la fabrication on ouvre des portes infinies, du traitement des eaux de son usine d’impression, en passant par la méthode d’extraction du fil de coton, tout peut être perfectible. Il y a 5 ans, quand j’ai lancé ma marque j’avais l’impression que c’était simple de faire bien mieux que tout le monde, que nous faisions produire nos vêtements en Europe et que c’était déjà une révolution. Quand je pense à moi, il y a 5 ans, j’ai envie de me faire un câlin! Quel chemin parcouru depuis. Je me suis éduquée ces dernières années et j’apprends tous les jours, mais je trouve que cela reste compliqué d’obtenir des informations. Mais la bonne nouvelle c’est que les choses sont en train de changer, et que tout est beaucoup moins opaque qu’avant. Il y a 5 ans si je demandais à voir des textiles bio, ou recyclés c’était presque des requêtes marginales, cela change très vite et c’est tant mieux mais le chemin est encore long. 

Et faire de mieux en mieux coûte aussi plus cher, ainsi je vois toutes mes convictions sur le prix et ma problématique de justesse qui prend un coup dans l’aile. Parce que choisir des matières recyclées, naturelles, bio sourcées dont la traçabilité pourrait faire rougir une carotte du potager d’Alain Passard, ce n’est pas si simple que cela à trouver. 

Si vous vous lancez demain dans votre propre business vous ne pourrez pas ignorer ces problématiques, elles doivent faire partie de votre cahier des charges. Aujourd’hui le marché des textiles « propres » est un peu moins opaque qu’il y a quelques années mais se frayer un chemin peut parfois s’apparenter à une chasse au trésor au résultat souvent ingrat. J’ai comme intime conviction que faire mieux n’est aujourd'hui plus une option: cela doit être la norme, et en aucun cas, un argument marketing.  

A chaque étape nous devons réfléchir à mettre du sens dans notre production, et chaque petite action est importante. Je pense à :

  •  Travailler uniquement avec des fabricants de textiles certifiés Öko-Tex,* 
  •  Aller le plus souvent possible dans nos ateliers en Europe rencontrer les gens qui fabriquent nos vêtements et mettre en place un audit***. 
  •  Systématiser et imposer à nos façonniers d’emballer nos collections dans des polybags en plastique végétal, 
  •  Continuer à faire fabriquer nos packagings en carton et papier recyclé en France, 
  •  S’assurer du bon traitement de nos déchets chez nos prestataires, filateurs, façonniers, logisticien. 
  •  etc … 

Et je pense qu’il y a mille autres actions à mener, toutes plus ou moins passionnantes et glamour je vous l’accorde mais cette partie immergée de l’iceberg est tout aussi essentielle pour continuer à être fière de vous proposer une mode joyeuse avec du sens, histoire que vous aussi vous vous sentiez fières de porter notre marque. Si vous avez des idées, pour agrandir cette liste, je vous écoute !  

En parallèle de cette newsletter, nous travaillons sur une charte éthique qui sera visible en ligne sur notre site Make My Lemonade, où nous ferons état d’où nous en sommes et nos axes d’améliorations ainsi que les futures actions à mener — mais je n’ai pas du tout l’intention d’en faire tout un axe de notre communication. Cela sera visible sur notre site et je vous en parle ici car c’est un questionnement qui me fait me réveiller la nuit… Cette équation quasi impossible. 

Alors pourquoi je fais ça déjà  ?

Je fais ça parce que je suis persuadée que l’on peut proposer une mode originale et joyeuse à un prix juste, la plus propre possible, produite le plus localement possible. Faire du sens, c’est ça qui me rend heureuse. 

Lisa

* Öko-Tex est le premier label visant à garantir les qualités humano-écologiques des textiles : exempt de produits toxiques pour le corps et pour l'environnement.

** audit : C’est une procédure de contrôle de gestion d’une entreprise.

17 décembre, 2019

Commentaires

Béa:

Hello Lisa,
Merci pour ta démarche et toutes les questions que tu te poses sur chaque étape de la fabrication d’un vêtement. Si chaque action peut sembler être une goutte d’eau, c’est avec des gouttes qu’est fait un océan :) C’est avec des démarches comme la tienne que tout avance petit à petit. J’ai quasiment arrêté d’acheter chez les grandes enseignes de la fast fashion, en privilégiant les marques affichant leur transparence comme la tienne et la fabrication de mes propres vêtements (j’espère d’ailleurs que vous n’abandonnerez jamais le côté patrons / mercerie qui fait de vous une offre si unique.)
Pour “l’abordabilité” d’un vêtement, c’est aussi avec des démarches comme la tienne que les gens finiront par comprendre que NON une robe cela ne peut pas coûter 50 euros et en même temps être fabriqué avec des matières traçables dans des ateliers locaux et des ouvriers payés de quoi vivre leur vie confortablement. La Fast fashion a entièrement faussé la perception prix d’un vêtement au prix du sang et le conso finira par s’en rendre compte. Acheter moins, mais mieux ;)
Continue Lisa car pour 1 commentaire négatif il y a une majorité de gens qui ne disent rien (comme moi) mais qui te soutiennent.

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